Guillaume Dégé
Portraits sans voix, recueil de muets célèbres, 2001
Semiose éditions
Il suffit parfois de chambouler la chronologie pour transformer les références en influences. Ou vice-versa.
Né en 1967, Guillaume Dégé serait donc un artiste contemporain. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il soit témoin de notre époque. Loin de là. Il a préféré s'en imaginer une autre, lui convenant peut-être davantage. Il s'est fait le héros de son propre univers utopique ou, plus précisément, uchronique. L'uchronie consistant à refaire par la pensée l'Histoire telle qu'elle aurait pu être et n'a pas été (exemple : dans Le Maître du haut château de Phillip K. Dick, les Allemands et les Japonais ont gagné la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis sont occupés, etc.).
Armé de crayons bien taillés, et du (non-)sens du rangement propre au collectionneur, il passe le plus clair de son temps à élaborer des séries de dessins, soigneusement organisées par thèmes, collages d'après gravures, herbiers troublants de sérieux obligé, de fausse assurance, mis au silence, les personnages de Guillaume Dégé jouent de sens cachés, de détournements énigmatiques dans la veine des illustrateurs du XVIIIe siècle qui font s'agglutiner les bruits dans la tête du lecteur.
Dans une hypothétique histoire de l'art uchronique, nul doute que ce garçon aurait influencé l'univers esthétique des collages de Max Ernst, Une semaine de bonté. Puis Andy Warhol aurait repris à son compte les obsessions dégé-sérielles, en substituant aux fleurs, des boîtes de soupe Campbell. Roland Topor aurait revendiqué ce père spirituel de l'absurde au graphisme élégant, précurseur du surréalisme, du pop art ou de La Planète sauvage - le célèbre dessin animé SF panthéiste de René Laloux et Topor, - rien que ça : beau palmarès.
Bon c'est faux, mais ce n'est pas grave, Dégé ayant le bon goût de se ficher de l'avant-garde comme de l'an 40. Il mène son existence et son oeuvre au sein d'un temps réinventé, authentique et crâne.
Né en 1967, Guillaume Dégé a commencé par étudier le chinois aux Langues O’ où il a acquis une réputation de sinologue distingué. Co-fondateur en 1994, avec Daniel Vincent (alias Tom de Pékin), de la maison d’édition Les 4 mers, il est aussi un collectionneur avisé d'images, d’abécédaires anciens et de gravures qui nourrissent sa pratique du dessin et du collage.
Depuis son premier livre, Un artiste à monter chez soi, publié en 1993, Guillaume Dégé a signé plus de trente ouvrages, parus entre autres au Seuil ou chez Gallimard. Au cours de sa vie d’illustrateur qui a précédé celle d’artiste, il a reçu des commandes de l'Opéra-Comique ou du MAC/VAL et collaboré régulièrement pour le journal Le Monde pendant une dizaine d’années. Ses dessins ont également été reproduits dans de nombreux titres de presse tels Libération, Beaux-arts Magazine, La Tribune, etc.
Enseignant à la Haute école des arts du Rhin de Strasbourg pendant près de quinze ans où il a dirigé le pôle illustration, puis nommé en 2019 à l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, Guillaume Dégé a formé des générations d’artistes, graphistes et illustrateurs. Il est aussi enseignant et professeur associé de l'académie des beaux-arts de Xi'an en Chine depuis 2015.
Il rejoint la galerie Semiose (Paris) au milieu des années 2000. Présentées entre autres à la Fondation d'entreprise Ricard (2007) et au musée de Sérignan (2009), ses œuvres font partie des collections du musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg, des Frac Haute-Normandie et Île-de-France et du CNAP. En qualité de commissaire d’expositions, il a notamment conçu « Dessins pointus » à la Halle Saint-Pierre en 2004 et « Doré and friends » au musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg en 2014.